DANSE & PARENTALITE

DANSE & PARENTALITE

Photo: Forum Danse 2022 du 4.11 (dis)continuité des carrières, atelier Nadine Fuchs et Fabio Zoppelli (convivialité familiale de la scène danse)

Le 30 juin 2022, les RP danses - Genève organisaient une rencontre pour penser la relève en danse ainsi que la durabilité de la profession (comment durer en tant qu'interprète ? quels sont les besoins des jeunes ? et des moins jeunes ? Que fait-on d'un corps vieillissant, fatigué, blessé, enceinte ?)

A l'approche de la Grève féministe 2023, Nous – associations professionnelles* – avions souhaité nous atteler à la problématique du rapport entre carrière en danse et parentalité. Aussi, un sondage réalisé en trois langues (fr, it, al) a été diffusé en juin 2023 (délai fixé au 21.06) auprès des professionnel·le·s en danse de Suisse, avec ou sans enfants, et quel que soit leur genre et métier (artistique, pédagogique, technique ou administratif).
Vous avez été 108 professionnel·le·s en danse à y répondre
(10% d’hommes et 90% de femmes) de trois régions linguistiques (69 francophones, 37 germanophones et 2 italophones)

Les résultats sont en cours d'analyse et ont été partagés avec deux professionnelles en étude de genre et en sociologie des Universités de Berne et de Lausanne. L’étude des réponses apportées permettra d’imaginer des initiatives à mettre en œuvre. Un travail de sensibilisation est par ailleurs déjà initié auprès des Cantons de Vaud et de Genève.
Ce sondage a aussi été transmis aux organismes professionnels du domaine de la musique, également intéressés à creuser ces questions.

Des premières mesures sont proposées à l'interne des associations professionnelles avec la mise en place d'une proposition de garde d'enfants lors des workshops que nous proposons. Si vous avez besoin de faire appel à ce service lors d'un de nos événements, n'hésitez pas à nous contacter directement pour que nous trouvions ensemble la proposition la plus adaptée à la situation.

QUESTIONNAIRE
en français
/ en italien / en allemand
De quelle manière le choix d’avoir un enfant ou d’y renoncer impacte-t-il la trajectoire professionnelle, le corps à la fois physique et social ? Jusqu’où peut-on associer les fonctions parentales et artistiques et comment compose-t-on avec ces deux rôles qui relèvent tous deux d’un soin important, mais sont de natures toutefois différentes ? Quelle sont enfin les mesures existantes ou à inventer afin de les harmoniser ?
=> Afin de sonder le contexte et d’envisager des pistes d’amélioration, nos trois associations professionnelles s’unissent. L’étude des réponses apportées permettra d’imaginer des initiatives à mettre en œuvre dès la saison prochaine.


* Action Danse Fribourg, AVDC – Association vaudoise de danse contemporaine, Rencontres professionnelles de danses – Genève (RP danses)
** planification ou non d’une grossesse vis à vis du contexte professionnel, aménagement des conditions de travail, accouchement, allaitement, interruption de l'entraînement, tournées, modes de gardes, répercussions sur l’engagement et le gain intermédiaire, etc.


MERCI DE VOTRE PRECIEUX TEMPS & A DISPOSITION AU BESOIN

Le bureau (Marie-Elodie Greco & Barbara Yvelin) & le comité

Pour aller plus loin :

- l'émission Bébé à bord, Ramdam, RTS du 14.09.2023

- l'article d'Aïnoha Jean-Calmettes Tu es sûre que tu vas y arriver ? dans Mouvement Octobre 2023

- le film documentaire Becoming Giulia de Laura Kaehr

- la série-documentaire 140 BPM de Martine Mbock

- la série de podcast lapointe.be


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INTERVIEWS
Afin d'accompagner le lancement du questionnaire, nous publions ci-dessous quelques interviews d'artistes chorégraphiques en lien avec la question de la parentalité.
Les ressentis et expériences sont très différents selon les individus. Les interviews ci-dessous ont pour but de rendre compte d'une pluralité des points de vue et de lancer la réflexion.

PORTRAIT/ Marthe Krummenacher (M.K.)
Danseuse interprète free-lance, une enfant née en 2011
Extrait - Retranscription écrite d'après une interview téléphonique

Pour Marthe, l’arrivée de sa fille a majoritairement provoqué des changements d’ordre organisationnel, notamment à travers la mise en place d’un réseau de soutien familial fort. Elle évoque les choix de carrière qu’elle a fait depuis lors, en corrélation avec les besoins de son enfant. Elle regrette une sensation d’isolement qu’elle a pu vivre et salue donc l’initiative de ce partage d’expérience permettant, selon elle, d’envisager de manière plus concrète les implications de la conjugaison de vie professionnelle et vie parentale.



RP danses – Genève Qu’est-ce qui d’un point de vue physique, identitaire et social a changé pour toi depuis que tu es mère ?
 
M.K. Physiquement, peu de choses ont changé, j’avais 30 ans et beaucoup d’énergie quand j’ai eu ma fille. A cette époque, ma carrière d’interprète était bien lancée, j’avais pris beaucoup d'engagements professionnels pendant ma grossesse. Je ne me voyais pas arrêter ma vie car je devenais mère.
J’ai recommencé à travailler tôt, aux 3 mois de ma fille. Mes parents ont été très présents, un réseau familial s’est tissé, ce qui m’a permis de continuer à travailler presque comme avant. Mes parents, mon compagnon, ma cousine ou mon frère ont voyagé avec moi.
Au travail, c’était plus compliqué par rapport à l’investissement, j’avais parfois la frustration de ne me sentir qu’à moitié présente, car pour profiter du temps avec mon enfant, j’arrivais à la dernière minute et repartais dès la fin de la répétition. C’est souvent durant ces temps que les équipes se soudent, apprennent à se connaitre et que le projet se poursuit inconsciemment. Moi, j’avais mes responsabilités de mère et la journée se coupait en deux de manière radicale.
Parfois le projet pouvait s’adapter à ma situation (sur des petites équipes) et parfois il fallait que je m’adapte.
 
A cette époque, j’ai eu des contrats dans les pays nordiques. La société nordique était déjà très inclusive, très en avance au sujet des questions d’enfants et de travail.
J’avais demandé un logement plus grand pour accueillir ma famille, ce qui a été accepté sans frais supplémentaires.
J’ai remarqué que les interprètes dans ces compagnies avaient plus facilement des enfants, ce n’était pas vraiment un sujet. En Suède, je me souviens que les personnes avec enfants pouvaient bénéficier d’une 1/2 journée par semaine de congé parental, c’était déjà très institutionnalisé.
 
RP danses – Genève Qu’est-ce qui aurait pu / qui pourrait t’aider à traverser cela plus facilement ?
 
M.K. Je pense que cela aurait été de faire une pause plus longue, de 6 mois par exemple. Avec le recul, je vois que cela aurait été possible, sans préjudice sur ma carrière. A ce moment-là, je n'ai pas fait ce choix, les engagements étaient déjà pris, il fallait les tenir, mais parfois, c'était difficile de laisser ma fille de 3 mois pour aller en studio. Sur le moment, j’avais juste envie de rester avec elle, de profiter de ces premiers moments à la maison.

Ce qui aurait pu m’aider, c’est que l’idée de la maternité soit plus incluse dans le mode de production, que certaines solutions viennent de la structure et soient moins dépendantes d’initiatives personnelles.

Lorsque ma fille était très petite, la situation était relativement facile car elle venait avec moi en tournée, avec un membre de ma famille. Tout était évidemment à mes frais.
Par la suite, c’était un déchirement car je devais la laisser et je pouvais me sentir coupable vis-à-vis d’elle mais aussi de la production. En effet, j’avais établi une limite de 4-5 jours sans la voir, et pas de semaines consécutives, ce qui posait problème à certaines dynamiques de compagnie. Je sentais que ma situation personnelle ajoutait un poids au projet.
Entourée que de collègues qui n’avaient pas d’enfants, il y avait clairement un décalage de priorités. Avec la fatigue, et le manque de mon bébé, j’étais plus fragile et sensible et cela pouvait se traduire par des craquages émotionnels durant les temps de création.
Je pense que j’aurais aussi apprécié d’avoir d’autres collègues dans ma situation. A ce moment-là, je n’avais pas de modèles de danseurs parents autour de moi. Peu d’interprètes persévèrent à ce niveau dans le métier après un enfant. Je trouve que c’est très bien que les associations professionnelles permettent d’accéder à des témoignages.

A cette même période j’ai mené un projet moi-même, j’ai vécu ma maternité de manière très différente car je gérais les horaires, tout était plus simple, et j’ai pu tout organiser autour de cette priorité. Ce qui n’était pas possible quand j’étais interprète pour d’autres.

Le choix de mener de front carrière d’interprète et maternité n’est pas évident mais petit à petit, j’ai trouvé un équilibre, j’ai réduit le travail à l’étranger pour me concentrer sur des engagements proches de Genève.

PORTRAIT/ LAURENCE YADI & NICOLAS CANTILLON
Co-chorégraphes de la Cie 7273 depuis 2003 ; 2 enfants né·e·s en 2015
Retranscription écrite d'après interview téléphonique

Pour Laurence et Nicolas, l'adaptation à la vie professionnelle une fois les enfants nés s'est faite naturellement et sans heurt. Aujourd'hui séparés côté vie privée, Laurence et Nicolas partagent une vie familiale forte à travers leur travail de co-chorégraphes. Ils notent un changement de mentalité dans la société vis-à-vis de l'intégration des enfants dans la sphère professionnelle, même si une amélioration reste souhaitable.



RP danses – Genève Qu’est-ce qui d’un point de vue physique, identitaire et social a changé pour vous depuis que vous êtes parents ?
L.Y. Au début on a tout voulu faire pareil, on voulait continuer comme si on n'avait pas d'enfants. Puis on s’est adapté. Au niveau physique, le corps du danseur est assez magique, le fait d’avoir une activité physique intensive m’a aidée à avoir une récupération rapide. J'ai repris assez vite, je n’ai pas senti de grands bouleversements dans l'esprit de la scène. Je dirais que j’ai maintenant un autre regard sur le monde, on rencontre les parents des autres enfants, on est moins égocentrique. On est face à une nouvelle génération.
N.C. Il n’y a pas eu de changement sur le fond du travail, le fond et la forme sont plus ou moins les mêmes. Avoir des enfants n’a pas généré de grosses questions sur comment réaliser une création par rapport à ce qu'on vit aujourd'hui.
L.Y. Et nous travaillons avec des danseuses qui ont-elles-mêmes des enfants, elles viennent parfois avec leur bébé en tournée. On trouve cela logique qu'elles puissent le faire puisqu’on l’a fait aussi.

RP danses – Genève Qu'est ce qui, selon votre expérience, génère parfois des difficultés et qu'est-ce qui pourrait faciliter leur résolution ?
L.Y.
La question de fond est financière. Nous avons toujours payé les billets d’avions de nos enfants, c’est très nouveau la prise en charge des voyages des enfants par les structures, ce n’était pas le cas encore fin 2019. Luzerner Theater a pris en charge mes enfants quand j’ai réalisé la chorégraphie Ineptie pour le Ballet, il y a un an ! Selon les pays de tournée, c’est plus compliqué, certains pays sont plus ouverts à cela. Par exemple, dans les pays asiatiques, les enfants au travail, cela peut être compliqué. Au Canada et dans les pays scandinaves c’est plutôt bien, en Europe c’est bien accepté et cela avance dans ce sens un peu partout. Mais il y a encore une marge de progression à faire pour le futur.
N.C. On s'adapte naturellement aux problématiques qu'on peut rencontrer, ce ne sont pas vraiment des problèmes, il n’y a pas de contraintes, juste des choses à résoudre. Le gros changement, c'est le temps dédié à l'éducation et la création, la balance à faire entre les deux.
Pour les enfants, c’est super, ils sont dans les théâtres, ils se sentent chez eux, c’est naturel de nous accompagner dans le travail. Ils sont très flexibles, les enfants, très adaptables. C'est assez fou d'y penser. Ils sont intégrés dans cet environnement. Ils savent où se passent les choses, les loges, l'administration. Ils se sont adaptés. Enfin, ils ont toujours connu ça.
L.Y.
Parfois les papas viennent aider, le groupe est plus nombreux que d'habitude, cela change la logistique. On voyage en plus gros groupe, parfois quinze personnes. On se connait tous très bien, on collabore avec certains danseurs depuis 10 ans, donc on s'adapte assez facilement.
Bien sûr, c’est plus fatiguant de tourner avec les enfants que sans, mais ils nous donnent de la force.
N.C. Le fait d'avoir des enfants n'a pas mis en péril la structure. On oublie vite les difficultés, on trouve des solutions. Ce n’est ni confortable ni inconfortable. C'est une nouvelle branche qui a poussé sur l'arbre, on vit comme ça. Les questions financières et logistiques étaient déjà présentes avant, on fait des choix et on s'adapte.
L.Y.
Avant d’avoir des enfants, on peut imaginer que cela sera différent mais on fait face à une réalité. On fait un joli métier, ils sont heureux de venir avec nous. Maintenant, ils font les échauffements physiques avec nous, ils dansent. Ils sont intelligents, on leur parle beaucoup, on leur explique ce que l’on fait, ils suivent tout. Il n’y a pas de notion de contrainte. Le travail reste un plaisir.

RP danses – Genève Qu’implique pour vous le fait de travailler ensemble dans la même structure ?
L.Y. On se connait depuis plus de 30 ans, c'est notre vie, ça n'a pas bougé. On a juste dû s'adapter. On doit simplement gérer la fatigue mais ce n'est pas un frein. Quand on a eu des enfants, la structure était solide, ils ne sont pas arrivés dans un univers fragile. Il n’y avait pas de raisons que tout s'arrête.
N.C. Pour préciser, on était un couple à la vie et à la scène avant. Maintenant, seulement à la scène. Le fait que les enfants soient avec nous au travail, cela leur permet de partager du temps avec leurs parents. Ils n'ont pas deux vies séparées. Pour eux, on est un couple dans le travail et on sent que c'est positif pour eux. La notion de famille dans le cadre du travail est très forte. 



PORTRAIT / NICOLE SEILER
Chorégraphe de la Cie Nicole Seiler depuis 2002
Pas d'enfants



”Si j’avais fait la séparation entre mon travail et ma vie, peut-être que j'aurais fait un enfant. Peut-être. Peut-être pas. Peut-être que j'aurais eu des chevaux dans une ferme. Qui sait.” N.S.

Lire l’interview réalisée par l’AVDC



PORTRAIT / MANUELA BERNASCONI
Danseuse et chorégraphe
Quatre enfants né·e·s en 2012, 2013, 2018, 2023



Avoir des enfants ou pratiquer la danse à un niveau professionnel n’a jamais été un choix d’exclusion pour Manuela. Être présente aux événements culturels afin d’améliorer son réseau s’est révélé difficile, de même que la précarité vécue par vagues dans le métier. Elle s’est dédiée à la création personnelle et en collaboration avec son partenaire, incluant les enfants dans les processus.

Lire l’interview réalisée par Action danse Fribourg


PORTRAIT/ MAMU TSHI
Danseuse, chorégraphe et professeure d’anglais
Un enfant né en 2023


« Tout le monde n’a pas la chance d'être entouré·x·e par sa famille. Nous, on dit « pour élever un enfant, il faut un village ». Quand on essaie de faire à deux le travail de 25 personnes, c’est lourd. C'est très lourd de devenir parent quand on est isolé·x·e. Un pays qui se dit libre doit pouvoir proposer des choix équivalents. Si le choix d’avoir un enfant signifie ne plus jamais travailler, renier sa vie et renoncer à sa passion, ce n’est pas réellement un choix et ça devient une contrainte. »


Lire l’interview réalisée par l’AVDC



PORTRAIT/ ANTONIO BÜHLER
Danseur et chorégraphe retraité
Deux enfants né·e·s en 1984 et 1991


"On peut dire que l’arrivée du premier enfant a été un tremblement de terre, un grand évènement qui nous a bousculés dans nos projets, mais qui nous a appris à devoir s’arranger et à être créatifs - conditions essentielles pour une vie d’artiste ! Avoir un enfant nous a finalement beaucoup motivés et inspirés. Pour pouvoir travailler ensemble, nous avons donc fondé notre compagnie."


Lire l'interview réalisée par Action Danse Fribourg